À la recherche du Sultan Insultant

À la recherche du Sultan Insultant

À la recherche du Sultan Insultant
Face-de-cochon, ça c’est ma place ! Tais-toi ou je te tire les cheveux. Essaye un peu pour voir, et pousse-toi, c’est ma place. Eh ! Pourquoi tu me pousses ? J’étais là avant toi, face-de-rat. C’est toi la face-de-rat. Aïe, lâche-moi les cheveux ou je le dis à papa. Aïe! Papaaaaa ! Chut, idiote. Alors pousse-toi… Tarek et Salima sont des frères et soeurs inséparables. Vont-ils enfin arrêter de se disputer lorsque leur père, le Sultan Insultant, sera porté disparu ?

Un conte de la Bibliothèque Incendiée

Livre numérique seulement.

Cela dit, tous les contes de la Bibliothèque Incendiée sont disponible dans un livre "papier".

ISBN: 978-2-9818932-1-5
Éditions Didascalie


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Extrait - À la recherche du Sultan Insultant


Il y a très longtemps, entre le Tigre et l’Euphrate, régnait le sultan El Aikfah-Ouardabeh B’heibeitnikh Latishmah, premier du nom. Mais avec un nom si compliqué, personne ne l’appelait ainsi. En vérité, en sa présence, on disait « Votre Magnificence », ou « Votre Suprême Altesse », mais en son absence, on disait qu’il était le Sultan Insultant.

On l’avait affublé de ce sobriquet à cause de sa manie de dire des choses blessantes sans même s’en rendre compte. Par exemple, lors de la visite de Vladimir le Vizir, le sultan lui dit : « Mais… votre femme n’est pas aussi laide qu’on le dit ! » Ou encore, lorsqu’il rendit visite au Roi Godefroy, il s’exclama en ces termes : « Mon cher ami, vous n’avez pas changé d’un poil ! Vous en avez toujours autant qui vous sortent du nez et des oreilles ».

Le Sultan Insultant avait deux enfants : un fils de dix-sept ans, Tarek, et une fille de quatorze ans, Salima. Leur mère était morte depuis quelques années. Les enfants avaient grandi dans la grande cité du sultanat, juchée sur une colline. Du côté du soleil levant, la route montait vers les énormes portes qui s’ouvraient sur les dédales de ruelles. Du côté du soleil couchant poussait une végétation épineuse et inhospitalière. Une rivière tranquille contournait la colline par le nord. Les murs de pierre blanche de la ville étaient percés de fenêtres sur lesquelles les habitants accrochaient des cages à oiseaux magnifiquement travaillées. Ainsi, où que l’on fût, on pouvait les entendre chanter.

Tarek avait les cheveux marron et aimait monter à cheval avec sa tunique rouge et noire. Salima avait de longs cheveux noirs et adorait écouter les légendes que les vieux lui contaient. Ils passaient presque tout leur temps ensemble, et pourtant, ils ne cessaient de se disputer.

— Face-de-cochon, ça, c’est ma place !

— Tais-toi ou je te tire les cheveux.

— Essaye un peu pour voir ; et pousse-toi, c’est ma place.

— Eh ! Pourquoi tu me pousses ? J’étais là avant toi, face-de-rat.

— C’est toi la face-de-rat.

— Aïe, lâche-moi les cheveux ou je le dis à Papa. Aïe ! Papaaaaa !

— Chut, idiote.

— Alors, pousse-toi…

Il n’y avait rien à faire pour les séparer ou les empêcher de se chamailler. Par contre, on ne les voyait jamais en présence de leur père. Ils détestaient se trouver devant lui, car il avait toujours des mots blessants à leur servir. « Mais comment ! mon garçon, tu es toujours aussi maigre ? Tu ne seras donc jamais un homme ! », lançait le sultan à son fils. « Salima, pour une fille, tu n’es pas si stupide », s’était-il exclamé, alors que le précepteur de sa fille venait de louanger les mérites de sa pupille.

Un jour, le Sultan Insultant fit organiser une fête en l’honneur de son ami l’Émir Casimir, qui venait de vaincre l’armée du Khan Yohann et de le repousser jusqu’au Rhadjatakoustan. Casimir était un homme potelé qui aimait tant rire qu’il s’esclaffait aux répliques du Sultan Insultant. Il était probablement le seul sur terre qui ne s’offusquait pas de ces commentaires désobligeants. Toujours est-il que Tarek et Salima furent conviés, ou plutôt traînés de force, jusqu’au banquet. C’est là qu’ils virent l’émir et le sultan, déjà ivres, s’emporter dans des diatribes joyeuses et énergiques. Ils mangèrent pour faire acte de présence, et s’éclipsèrent dès qu’ils le purent.

— Oh, j’ai trop mangé.

— Tu vas devenir grosse.

— Alors je serai plus forte que toi.

— Plus forte et plus stupide.

— Stupide, toi-même.

— Tête-de-phacochère.

— Face-de-morve-pourrie.

Le lendemain, un dignitaire alla trouver Tarek et Salima en s’écriant :

— Le sultan a disparu !



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